Jean Villard dit Gilles (1895-1982), chansonnier
Par Alex Décotte

Si Saint-Saphorin est et restera pour les Vaudois le village de Gilles, c'est à Montreux, où son père est un architecte réputé, qu'il naît en 1895. L'autorité paternelle stricte et pesante est compensée par la douceur d'une mère très aimante. Dernier venu après trois frères et trois sœurs , il apprécie l'enseignement pour autant qu'il parle au cœur. S'il fut heureux au collège de Montreux, il supporta très mal le gymnase, tant à Lausanne qu'à Genève. Son père finit par le placer dans un pensionnat de Soleure où l'on remettait dans le droit chemin les riches émancipés. Si le trop sensible Jean y tient une année, c'est qu'il y trouve un maître enthousiaste qui l'ouvre à la poésie allemande et à la musique. Il s'épanouit, trouve en Elie Gagnebin l'ami qui lui manquait, écrit des vers, découvre la chansonnette et, malgré sa timidité, se produit à la soirée des Belles-Lettres, sa société d'étudiants. Elie l'engage dans l'aventure de L'Histoire du Soldat, pour y jouer le rôle du Diable. Jean Villard fait ainsi la connaissance de Strawinsky, Ansermet, de Diaghilev: il a trouvé sa voie.

Jusqu'en 1939, sa carrière, tant au théâtre qu'au music-hall, se déroule à Paris. Il fréquente et admire Jacques Copeau, qui en fait le régisseur du Vieux Colombier. Puis, participant à l'épopée des Copiaus de 1924 à 1929, il y trouve en Julien le partenaire qu'il cherchait; le duo Gilles et Julien débute en 1932 et triomphe aussitôt, honoré en 1934 par le Grand Prix du Disque. Pendant sept ans, malgré la marche de l'Europe à l'abîme, la mort de sa fille et celle de ses parents, Gilles accompagnera Julien de succès en succès.

Rentré au pays, mobilisé et les poches vides, son moral est en berne jusqu'au jour où Radio Lausanne lui propose la gageure de créer une chanson nouvelle par semaine! Gilles relèvera le défi pendant toute une année. Parmi ses créations, Les Trois Cloches deviennent un succès mondial, grâce à Edith Piaf et aux Compagnons de la Chanson.

Puis, à quarante-cinq ans et, presque en même temps, il trouve la compagne de sa vie, Evelyne, et rencontre Edith Burger, avec qui il crée le Coup de Soleil à Lausanne. En retransmettant par-dessus les frontières ses chansons d'espérance, en osant proclamer en pleine déroute que le 14 Juillet Revivra, la Radio suisse romande entretient outre-Jura la flamme de l'espoir.
Six mois après le décès désolant d'Edith, au printemps 1949, Gilles repart pour Paris et y appelle Albert Urfer. Le Coup de Soleil est mort mais un Chez Gilles parisien est né à l'avenue de l'Opéra, où le tout-Paris se presse. Puis la nostalgie prend les duettistes et, en 1959, ils se replient sur l'autre Chez Gilles, ouvert en 1956 déjà à l'avenue de la Gare à Lausanne et qui fermera à son tour en 1960.
Gilles a déjà soixante-cinq ans. Certes, il a retrouvé ses racines, mais, maintenant qu'il a acquis une maison à Saint-Saphorin, s'il allait voir les Vaudois de plus près ? Commencent alors, avec Urfer et jusqu'en 1976, les représentations villageoises et le triomphe hebdomadaire de la Venoge, des Colonels, des Noms vaudois, du Bonheur… et des Histoires à Gilles dans lesquelles, tout en fustigeant avec humour les travers de ses compatriotes, Gilles exprime et met en évidence la fine bonhomie de l'âme vaudoise.

Pas de vraie retraite pour la chansonnier: jusqu'au bout, il participe, encourage et s'enthousiasme, toujours timide, mais toujours contestataire et toujours fêté… La mort à huitante-sept ans ne le surprend pas.

Il serait injuste de ne pas citer les créations scéniques de Jean Villard Gilles pour le Théâtre du Jorat de Mézières. En 1950, c'est Passage d'une Etoile, avec une musique de Hans Haug et, dix ans plus tard La Grange aux Roud, musique de Jean Binet.

En 1998, Evelyne Villard a remis aux Archives Cantonales Vaudoises tous les documents concernant l'œuvre de son mari.

Sources: Alex Décotte, Le Siècle de Gilles, Zurich, 1965, Editions Silva, In Albert Gonthier, Montreux et ses hôtes illustres, Veytaux – Villeneuve, Editions Cabédita